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10 novembre 2008

C. L. R. James : Les Jacobins noirs


Cette remarquable étude sur la seule révolte d’esclaves qui ait réussi est devenu un classique. Elle reste un modèle de recherche historique, fine par son analyse politique des événements, mais aussi passionnante dans leur narration.
En 1791, dans la Caraïbe, l’île de Saint-Domingue, la plus prospère des colonies française et marché important pour le commerce des esclaves, est prise dans l’engrenage de la révolution ; la révolution revue et corrigée par le contexte tropical. Pendant douze ans, les esclaves révoltés vont se dresser contre les maîtres blancs, affronter successivement les armées françaises, espagnoles et anglaises et remporter une victoire décisive sur l’expédition envoyée par Bonaparte en 1803, victoire qui instaurera l’État noir d’Haïti. Toussaint Louverture – lui-même esclave jusqu’à l’âge de 45 ans–, fut le chef de cette gigantesque entreprise. Quel fut le processus qui engendra cette révolution ? Comment produisit-elle ce chef hors du commun et de quelle manière la porta-t-il à son tour jusqu’à sa conclusion triomphale ? Tels sont quelques-uns des thèmes principaux abordés dans ce grand livre.

Peter Linebaugh et Marcus Rediker : L'Hydre aux mille têtes


Si l’on s’intéresse à l’histoire de la mondialisation économique, et plus particulièrement à la manière dont elle s’est déployée dans l’espace atlantique, l’on s’aperçoit que deux figures mystérieuses reviennent avec régularité sous la plume des architectes de l’économie atlantique du xvie siècle au xviiie siècle, qu’ils soient princes, prélats, commerçants ou simples colons : Hercule et l’Hydre au mille têtes.

Hercule symbolise la pérennité de l’ordre social, l’unification des territoires et la force de ces nouveaux conquérants. L’Hydre de Lerne, quant à elle, est son antithèse symbolique, l’agent du désordre et de la sédition qui, pour chaque tête coupée, en fait repoussée dix. En un mot, "les criminels déportés, les péons, les radicaux religieux, les pirates, les travailleurs urbains, les soldats, les marins et les esclaves africains". L’histoire tel qu’on l’a connaît aujourd’hui a bien sûr été écrite du point de vue d’ "Hercule". Les historiens Marcus Rediker et Peter Linebaugh, à la manière d’Howard Zinn et de son Histoire populaire des États-Unis, mettent ici un terme à l’"invisibilité historique" de ce "prolétariat atlantique", cette "classe multi-ethnique qui fut essentiel à l’avènement du capitalisme et à l’ économie globale moderne". À travers 8 chapitres, ils retracent l’histoire des insurrections qui marquèrent les premiers temps du commerce intercontinentale, au delà des frontières nationales, de classes ou de races, et qui trouvèrent leur aboutissement dans les révolutions française, haïtienne et américaine. Ce livre acclamé par la critique lors de sa sortie aux états-Unis est l’un des ouvrages fondateurs de l’histoire atlantique.

Maurizio Lazzarrato : Le Gouvernement des inégalités




Les néolibéraux ont bel et bien une politique sociale. La société est, avec le néolibéralisme comme le keynésianisme, la cible d'une intervention permanente. Ce qui a changé, ce sont les objets et les finalités de cette intervention. Il s'agit d'établir un état d' "égale inégalité" et de "plein emploi précaire". De ce gouvernement par l'inégalité, qui traite chaque individu, chaque travailleur considéré isolément, comme une entreprise, se dégage des peurs différentielles qui touchent tous les segments de la société néolibérale et qui en constituent le fondement affectif.

Parce qu'elle refuse de se confronter aux effets de pouvoir de la protection sociale et ne prétend que défendre les acquis sociaux, la gauche est impuissante face à cette politique. Pour sortir de cette impasse, il lui faut maintenant apprendre à agencer les luttes pour les droits, les luttes sur le terrain de la représentation politique ainsi que les luttes économiques aux luttes pour se gouverner soi-même. Autrement dit, il est urgent d'articuler, au lieu de les opposer, la "critique sociale" et la "critique artiste".

Sociologue indépendant et philosophe, Maurizio Lazzarato vit et travaille à Paris où il poursuit des recherches sur le travail immatériel, l'éclatement du salariat, l'ontologie du travail et les mouvements "post-socialistes". Il a notamment écrit Puissances de l'invention. La psychologie économique de Gabriel Tarde contre l'économie politique (2002) et Intermittents et Précaires (avec Antonella Corsani, 2008).

Stuart Hall : Identités et Cultures (édition augmentée)



Á l’heure où se développent en France les premiers cursus d’études culturelles et où les politiques de l’identité et des représentations suscitent un intérêt croissant, la publication de ce recueil d’articles du sociologue britannique Stuart Hall constitue un détour nécessaire par les origines multiples et complexes de ce champ de réflexion. Intellectuel de renom international, Stuart nous livre ici une généalogie critique des études culturelles de leurs fondements théoriques marxistes et gramscien à leur redéfinition des notions de "culture" et "culture populaire" en passant par leur résistance aux disciplines classiques. Mettant en relief les préoccupations théoriques et politiques majeures des études culturelles, il interroge le concept d’ "identité" et ses déclinaisons (ethnicité, race, classe, genre, sexualité) développant une théorie plaçant la culture au coeur même du processus de formation de l’identité. Les sept articles présentés ici, inédits jusque là en français, constituent dans le monde anglo-saxon des textes classiques qui intéresseront les étudiants et chercheurs travaillant dans le domaine des sciences humaines tout autant que ceux et celles qui souhaitent éclaircir les rapports troubles entre les identités et leurs représentations, les cultures et les politiques qui les traversent.

Cette nouvelle édition augmentéé comportera un certain nombre de nouveaux articles inédits (comme Coding/Decoding), afin de rendre accessible en français, avec Le Populisme autoritaire, l’essentiel des écrits théoriques de Stuart Hall.

Jean Bérard et Gilles Chantraîne : 80 000 détenus en 2017 ?




En juillet 2004, le nombre de personnes incarcérées en France a dépassé 64 000, un chiffre inconnu depuis la Libération. Il s’est depuis stabilisé au-dessus de 60 000 détenus, alors qu’il était de 48 216 en 2001, et de 38 639 en 1980. Ce record a été l’apogée (provisoire ?) d’un mouvement d’inflation carcérale qui, à quelques exceptions près, a marqué avec constance les trois dernières décennies. Il s’agirait alors de montrer à la fois la fonction de parcage de la prison pour des franges croissantes de population durablement écartées du marché du travail, et, plus largement, son rôle disciplinaire vis-à-vis de populations précarisées contraintes sous la menace pénale d’accepter la nouvelle donne sociale. Les États-Unis, avec une "industrie carcérale" florissante et plus de 2 000 000 de détenus, figureraient le sombre avenir de notre système carcéral.
Pourtant, en France, si la population détenue demeure dans son écrasante majorité constituée d’hommes jeunes en situation de grande précarité sociale, les motifs et les durées d’incarcération ont connu de profondes transformations qui mettent à l’épreuve l’univocité des interprétations : stabilisation et fluctuations significatives du nombre d’entrées (à la baisse en 1980 et 2002), augmentation du nombre de personnes suivies en « milieu ouvert » (plus de 120 000 aujourd’hui), allongement de la durée moyenne d’incarcération (de 4 à 8 mois), pourcentage croissant des personnes condamnées pour des atteintes aux personnes (notamment pour des infractions sexuelles), vieillissement de la population carcérale, etc.
Qui va en prison et pour combien de temps ? Qui n’y va plus ou moins et quelles réponses pénales ou non sont apportées à leurs actes ?

02 octobre 2008

Jérôme Vidal : La Fabrique de l'impuissance 1

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Après La Fabrique de l'impuissance 2 (!) :

Jérôme Vidal
La Fabrique de l'impuissance
La gauche, les intellectuels et le libéralisme sécuritaire

Editions Amsterdam, coll. Démocritique
En librairie le 10 octobre 2008

D'un côté, le Parti socialiste au pouvoir s'est fait depuis 1983 l'artisan d'une "modernisation" néolibérale des institutions, alimentant une dérive sécuritaire toujours plus accusée. De l'autre, la "gauche critique" s'est souvent enfermée dans une stratégie de dénonciation du "complot" néolibéral et de défense du compromis social-démocrate hérité de l'après-guerre (1945-1968), défense sans grande efficacité et sans véritable prise sur "les temps nouveaux". Les uns comme les autres ont persisté à analyser les transformations en cours selon des schèmes d'analyse hérités de l'entre-deux-guerres et des Trente Glorieuses.

La Fabrique de l'impuissance 1 voudrait déterminer les voies possibles d'une sortie de cette double impasse : ralliements aux impératifs du capital ou défense du statu quo. Pour ce faire, il interroge les conditions de la décomposition du bloc politique et culturel que désignait naguère l'expression de "peuple de gauche", il propose une critique du thème de "la lepénisation des esprits", ainsi qu'une analyse des modes d'intervention des intellectuels français dans le débat politique.Ce livre voudrait de la sorte contribuer à la saisie par "la gauche de gauche" des possibilités actuelles de relance du mouvement vers "l'égaliberté" au-delà du compromis incarné par l'État social des Trente Glorieuses.

Pour en savoir plus sur
Charlotte Nordmann, La Fabrique de l'impuissance 2, L'école, entre domination et émancipation
(Editions Amsterdam, coll. Démocritique, Paris, 2007),
cliquez ici.
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01 avril 2008

Pierre Macherey: Marx 1845 - Les "thèses" sur Feuerbach


"S’intéresser aux thèses sur Feuerbach, les lire au sens fort du terme, pour leur faire dire le maximum de ce qu’elles peuvent énoncer, tout en évitant le risque à tout moment menaçant de la surinterprétation, ce n’est pas attendre qu’elles délivrent un message dont la teneur achevée puisse être pour toujours enregistrée et consommée, mais c’est plutôt y voir le témoignage d’un véritable acte de pensée, qui tire de ses incertitudes la force d’avancer, à ses risques et à ses frais, dans une direction non préalablement fixée, et qu’il vaut la peine de prendre au mot. C’est précisément ce que je me suis proposé : saisir ces « thèses » au vif de leur(s) mot(s), et par là, peut-être, arriver à mieux comprendre ce que parler et penser veulent dire, lorsqu’ils sont pratiqués au point de leur plus haute tension, dans une perspective qui, dirait peut-être Marx, ne soit pas seulement d’interprétation, mais aussi de transformation et de réel changement."

Pierre Macherey enseigne la philosophie à l’université de Lille-III. Il a notamment publié Lire le Capital, en collaboration avec L. Althusser, é. Balibar, R. Establet et J. Rancière, Maspero, Paris 1965 (rééd. PUF, Paris, 1996) et Avec Spinoza, PUF, Paris, 1992.

Yann Moulier Boutang: Le Capitalisme cognitif - La nouvelle grande transformation


Notre époque n’est assurément pas celle d’une transition vers le socialisme. L’ironie de l’histoire est que, si transition il y a, comme nous le pensons, il s’agit d’une transition vers un nouveau type de capitalisme. De ce point de vue, le socialisme et la gauche semblent en retard d’une révolution. La « mondialisation » actuelle correspond en effet à l’émergence, depuis 1975, d’un troisième type de capitalisme. Celui-ci n’a plus grand chose à voir avec le capitalisme industriel qui, à sa naissance (1750-1820), rompit avec le capitalisme mercantiliste et esclavagiste. L’objectif de ce premier volume de la collection Multitudes/Idées est de décrire et d’expliquer de façon claire et accessible les caractéristiques de ce troisième âge du capitalisme.

La réédition révisée et augmentée intègre les multiples débats qui ont suivis la sortie de ce livre, notamment au sein du groupe des économistes de l’Echangeur (LaSer), où il a fait l’objet d’une riche discussion qui se poursuit. Elle fera l’objet d’un appendice substantiel avec des contributions de François Fourquet (Université de Paris VIII), Michel Henoschsberg (Université de Paris X), Antoine Rébiscoul (Publicis) et Philippe Lemoine (LaSer).

Nicolas Daum: Mai 68 raconté par des anonymes


Mai 68 et ses stars ont quelque peu éclipsé ceux qui, sur leur lieu de travail ou dans leur quartier, ont voulu vivre la révolution au quotidien. En prenant délibérément le contre-pied de la personnalisation, Nicolas Daum est parti à la recherche de ses anciens compagnons du comité d'action du Ille arrondissement de Paris. Témoin et acteur anonyme, il revendique, avec eux et pour eux, la part de ceux qui ont forgé et véhiculé les valeurs du mouvement. Témoins privilégiés de l'histoire, 19 personnes racontent leur action et leur engagement, leurs motivations profondes, qu'elles soient politiques ou personnelles, ou même le hasard qui les a conduit à se retrouver.

Analyse détachée et critique pour certains, encore passionnelle pour d'autres, ces témoignages lucides, émouvants et parfois pleins d'humour apportent un éclairage nouveau sur quelques années intenses, qui, d'une manière ou d'une autre, ont laissé des traces.

Citton et Lordon (ed.) : Spinoza et les sciences sociales - De la puissance des multitudes à l'économie des affects


Que les sciences sociales du XXIe siècle puissent trouver à s'inspirer d'un penseur du XVIIe a sans doute de quoi surprendre. Il est vrai que, commençant avec la cause de soi, la substance et Dieu, la philosophie de Spinoza semble tout avoir pour décourager le non-philosophe... Elle n'en finit pas moins avec les passions individuelles et collectives, les institutions et l'imaginaire social, la constitution des corps politiques et leurs crises, les dynamiques de la rébellion - questions clés des sciences sociales. C'est pourquoi on ne devrait pas s'étonner de voir ici Spinoza dialoguer avec Foucault, Bourdieu, Mauss, Tarde ou Durkheim. Ni de voir les concepts spinozistes mis à l'oeuvre dans l'analyse des affects communs, de la médiasphère de l'opinion, de la reconnaissance, des collectifs de travail comme communautés d'action, ou de la monnaie comme institution. Le tournant des années 1980 a vu la découverte d'un Spinoza politique, penseur de la puissance de la multitude, révélant une figure largement méconnue par la tradition critique antérieure. Ce mouvement de réinvention trouve ici son prolongement logique, dans un ouvrage qui esquisse une autre figure inédite : la possibilité d'un devenir spinoziste des sciences sociales.

Charlotte Nordmann: Bourdieu / Rancière - La politique entre sociologie et philosophie



Dans ce livre, Charlotte Nordmann propose non seulement un exposé systématique et didactique de la sociologie du « champ politique » élaborée par Pierre Bourdieu – dont elle souligne à la fois les aspects les plus convaincants et les faiblesses –, mais surtout confronte celleci à la critique radicale que lui a fait subir Jacques Rancière. Deux conceptions de la politique se trouvent ainsi opposées : la première insiste sur les mécanismes de la monopolisation et de la dépossession intellectuelles et politiques, et semble à première vue radicalement limiter les possibilités concrètes d’émancipation ; la seconde, dans un geste que l’on pourrait dire pragmatiste, pose qu’une politique d’émancipation authentique doit partir du postulat de l’égalité et de ses effets, et que la considération des déterminismes sociaux ne peut que nous enfermer dans le cercle de la domination et de l'impuissance. La théorie sociologique de la politique est-elle condamnée à ignorer ce qui dans l’espace social interrompt la reproduction indéfi nie de la domination ? La position de Rancière n’est-elle pas marquée du sceau de l’idéalisme ? Ne peut-on penser ensemble l’autonomie et l’hétéronomie radicales de la politique ? Le pari à l'origine de ce livre est que la confrontation des travaux de Pierre Bourdieu et de Jacques Rancière, en révélant leurs points forts et leurs points aveugles, permet d'éclairer les voies d'une politique démocratique radicale pour notre temps.

Stuart Hall: Le Populisme autoritaire - Puissance de la droite et impuissance de la gauche au temps du thatchérisme et du blairisme


"Si la gauche ne parvient pas à comprendre le thatchérisme - ce qu'il est, pourquoi il a surgi, quelle est sa spécificité historique, quelles sont les raisons permettant d'expliquer qu'il soit en mesure de redéfinir l'espace politique et de désorganiser la gauche -, alors celle-ci ne pourra pas se renouveler parce qu'elle sera incapable de comprendre le monde dans lequel elle doit vivre, ou qu'elle "disparaîtra" dans une marginalité définitive". (Stuart Hall)

Olivier Blondeau: Devenir média - L'activisme sur Internet, entre défection et expérimentation

(avec la collaboration de Laurence Allard)

Un des événements majeurs des dernières échéances électorales en France a sans doute été l'entrée d'Internet en politique. Comment expliquer ces phénomènes au-delà de l'approche quantitative et des catégories héritées de l'étude des médias de masse ?

Loin d'être le fruit une génération spontanée qui ne devrait son succès qu'aux qualités intrinsèques et d'une vision réifiée d'un outil technologique et d'un média, l'entrée d'Internet en politique est la résultante d'un long travail d'élaboration et d'expérimentation technologiques, politiques et même esthétiques mené conjointement par des activistes, des techniciens et des artistes à travers le monde depuis quelques décennies. Internet ne se contente pas d'être un outil de "réenchantement de la démocratie". Ce dispositif médiatique, cette machine au sens guattarien du terme, architecture, design des causes, des formats de prise des paroles, des répertoires d'action renouvelés. Dans ce cadre, chacun le sent bien : la politique au sens traditionnel ne sortira pas indemne de sa confrontation avec Internet, de la même manière qu'elle n'est pas sortie non plus indemne de sa confrontation avec l'apparition de l'imprimerie, des médias de masse, etc.

Considéré par ceux qui en ont été les premiers lecteurs comme "étant à Internet ce que furent à la sociologie urbaine les premiers travaux de l'École de Chicago", Devenir média, croise des apports de la science politique et de la communication, de la sociologie pragmatique et des théories critiques de l'action collective. Cette véritable somme s'attache à récapituler les grandes étapes de l'activisme sur Internet au cours des dix dernières années dans différentes régions du monde et à les situer dans leurs héritages historiques, du cinéma expérimental aux expériences des radios pirates en passant par les tactical media.

Bove, Bras, Méchoulan (dir.): Pascal et Spinoza - Pensées du contraste: de la géométrie du hasard à la nécessité de la liberté


Que rien n’ait été encore organisé sur le couple Pascal « et » Spinoza, exprime, historiquement, le fait de l’écart imaginé vraiment trop grand, par la tradition, entre deux univers de pensée tenus pour si différents, si hétérogènes, qu’il apparaissait même inutile de réfléchir à leur incompatibilité. Pourtant, comme l’écrit en 1951 Léon Brunschvicg dans Spinoza et ses contemporains, « Le solitaire de Port-Royal et le « Juif de Voorburg » avaient tous deux sur leur table de travail la Bible et le Discours de la méthode ; sans se connaître, ils se sont en quelque sorte répondu. C’est pourquoi la confrontation de leurs écrits ajoute une sorte de détermination extérieure et objective à l’interprétation de leurs doctrines [et] souligne d’un trait nouveau l’originalité de leurs génies ». Et Brunschvicg de poursuivre : « Un tel contraste est l’un des spectacles les plus curieux que puisse offrir l’histoire de la pensée, l’un des plus instructifs aussi ; il embrasse dans toute son étendue l’horizon intellectuel du XVIIe siècle ; il permet d’en éclairer les extrémités, et de remplir l’entre-deux, en suivant, à travers l’opposition de deux systèmes, la trame logique qui, dans l’un et dans l’autre, relie sans lacune, sans fissure, le principe mathématique et la conclusion apologétique ».

Notre ouvrage est donc un inédit, une première historique avec les meilleurs spécialistes de Spinoza et de Pascal, qui s’inscrit cependant dans une histoire qui rendait aujourd’hui nécessaire une confrontation systématique des deux penseurs, dont on verra combien, sur la conception de l’Écriture et de la religion, de l’anthropologie, des sciences et de la politique, leur dialogue est pour nous, aujourd’hui, une source d’idées nouvelles.

Charlotte Nordmann: La Fabrique de l'impuissance - L'école, entre domination et émancipation


"L'Ecole républicaine" repose sur une contradiction irréductible : elle est à la fois un facteur de démocratisation et de hiérarchisation. Elle est l'institution qui assure la légitimation de la hiérarchie sociale en la faisant apparaître comme l'expression de l'inégalité des capacités individuelles. L'Ecole produit ainsi, paradoxalement, de l'impuissance : impuissance à parler, à écrire, à lire, à penser. Mais elle est aussi un lieu de diffusion de savoirs et de compétences susceptibles de donner à chacun les moyens d'augmenter son autonomie, sa puissance d'agir et de penser.

Parce qu'il refoule cette ambiguïté, le "débat sur l'Ecole" nous enferme dans un véritable cercle, et nous interdit de réfléchir aux enjeux politiques de la maîtrise de la lecture, de l'écriture, du rapport aux savoirs et à la parole. Comment faire pour que l'Ecole ne fonctionne pas essentiellement comme une fabrique de l'impuissance ?

Yves Citton : Lire, interpréter, actualiser - Pourquoi les études littéraires?


Pourquoi étudier aujourd’hui des textes littéraires rédigés il y plusieurs siècles ? Pour quoi faire ? Ou, comme le demandait le candidat Sarkozy : pourquoi le contribuable devrait-il financer des études de Lettres ? Pourquoi faut-il dire qu’il n’y a pas d’interprétation fausse ? que ce sont les lecteurs qui font les textes ? qu’une œuvre n’est pas un objet, mais un événement ? que la fiction fraie réellement les voies d’un autre monde possible ? que la littérature propose la gymnastique mentale la plus marketable à l’âge du capitalisme cognitif ? que le jazzman doit servir de modèle au professeur des universités ? que l’interprétation littéraire est le meilleur moyen de récuser les fondements cachés du sarkozysme ?

C’est à de telles questions que s’efforce de répondre ce livre qui se présente à la fois comme une intervention politique, comme un appel à une rénovation des études littéraires (fondé sur la théorisation serrée de ce qu’une lecture actualisante des textes du passé peut apporter dans le monde d’aujourd’hui) et comme un essai d’ontologie herméneutique (plaçant l’interprétation au cœur de la puissance constituante des existences humaines). À la suite d’un parcours argumentatif vigoureux, sa conclusion est que loin d’être condamnées à rester une discipline poussiéreuse, les études littéraires peuvent devenir le lieu d’une indiscipline exaltante, en plein centre des débats les plus brûlants de notre actualité.


Yves Citton est professeur de littérature française du XVIIIe siècle à l’université de Grenoble 3. Il est membre du comité de rédaction des revues Multitudes et Dix-huitième siècle. Il a notamment publié L’Envers de la liberté. L’invention d’un imaginaire spinoziste dans la France des Lumières (Éditions Amsterdam, 2006), qui a remporté le Prix Rhône-Alpes du Livre 2007.